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Soumis au temps : bouleversements....

Le 6 avril dernier, Claude Breuillot, Docteur en psychologie, Référent Cellule de Pluridisciplinaire de Prévention MSA, membre du Laboratoire de Psychologie de l’Université de Besançon, a donné une conférence lors de l’Assemblée générale d’Agrisolidarité, à l’invitation de son Président Jean-Charles Blanchard et de son Vice-président Jean-Jacques Lahaye de la Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire. La Revue Politique et Parlementaire en reproduit ici le texte.


Planter le décor

D’où je parle ? Quels sont mes champs d’investigation ? C’est quoi être Moderne ? Quelle mots ou maux pour le chef d’entreprise ou la cheffe d’entreprise, chef d’exploitation, paysan ? Pour ma part paysan n’a pas de connotation péjorative. Est-il désuet ? Le paysan1 est ancré dans son pays, le paysage. Fera-t-il encore partie du paysage ?

Quel est le terreau fertile qui permettrait encore de penser malgré l’accélération du temps ?

« Le » temps n’existe pas. ­ Dissemblables, disparates, les temps constituent une foule hétéroclite, du moins au premier regard. Chacun sait, sans trop vouloir y penser, combien le temps des horloges n’est pas celui que nous éprouvons. Une série de temps calculables est explorée par les physiciens, mathématiciens et savants. Une autre se voit cultivée par les artistes, musiciens, peintres, poètes. D’autres temps encore appartiennent aux voyageurs, manageurs, comptables. Le temps des historiens n’est pas celui des philosophes, qui se distingue du temps des psychanalystes. Sans oublier les temps des mythes, des religions, des politiques…écrit Roger-Pol Droit2.

Mon exposé sera succinct et ne s’appuiera pas sur le management. Il ne sera dit productif que de quelques réflexions. Selon l’Observatoire AMAROC3, qui mit au point plusieurs outils basés sur la recherche en psychologie cognitive et en sciences de gestion, non satisfaisants à mes yeux, les PME seraient souvent délaissées par les sciences sociales, humaines et médicales. Or elles représentent :

  • 96 % des entreprises françaises,

  • 2 emplois sur 3,

  • 60 % du PIB.

Les situation anxiogènes ont été mesurées4, classées en Intensité émotionnelle (1 à 5), comptabilisant les répondants ayant vécu dans l’année une telle réalité, et leur probabilité d’occurrence :

Dépôt de bilan                                                             3,68          19          6,5 %

Problème de trésorerie                                               3,52          185         63,4 %

Baisse de l’activité commerciale                                3,45          194         66,4 %

Mauvais résultat annuel                                               3,29          150         51,4 %

Procédures judiciaires                                                 3,23          90          30,8 %

Conflit avec associé(s)/actionnaire(s)                        3,23          66          22,6 %

Surcharge de travail du dirigeant                                3,21           271         92,8 %

Maladie grave d’un salarié                                            3,20          88          30,1 %

Conflit avec des salariés                                               3,11           151          51,7 %

Licenciement d’un salarié                                             3,05          131         44,9 %

Ces données ne laissent pas la place à l’histoire personnelle du sujet.

Si le corps du monde agricole est loin d’être monolithique, dépendant de ses représentants syndicaux, de ses territoires, il serait précipité de vouloir s’appuyer sur les seules statistiques existantes mesurant lesdites aptitudes à s’adapter à un monde et des valeurs qui changent rapidement. Que ne disent pas les statistiques ? Comment distinguer le dire et le dit, analyser les discours ?

Pourquoi les seules données statistiques sont-elles à dépasser ? Les données sociodémographiques et professionnelles de l’Institut national de veille sanitaire (INVS) proviennent des bases de données de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) et ont été appareillées aux données de mortalité provenant du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Un rapport du Sénat5 donne à entendre « les données statistiques récentes, mais parcellaires » écrit-il. Une étude6 menée tout d’abord en 2016 par Santé publique France a porté sur les années 2010 et 2011, à partir de la même méthodologie que celle de 2013, qui portait alors sur les années 2007 à 2009. Elle ajoute donc deux années aux trois déjà étudiées.

La surmortalité par suicide frappe essentiellement les agriculteurs travaillant dans les secteurs « élevage bovins lait » (surmortalité par suicide supérieure de 56 % à celle de la population générale) et « élevage bovins viande » (127 %). À noter, en particulier, une surmortalité importante par suicide en 2007 dans les secteurs « cultures et élevages non spécialisés » et « maraîchage, floriculture ».

Un suicide d’agriculteur tous les deux jours, selon une étude de 2017.

Une nouvelle étude de la CCMSA, conduite en 2019, confirme le phénomène de surmortalité par suicide dans le milieu agricole

En se fondant sur des données de 2015 du Système national des données de santé (SNDS), la CCMSA a calculé le taux de suicide parmi les personnes de 15 à 64 ans affiliées au régime agricole et ayant consommé au moins un soin ou une prestation dans l’année, avant de le comparer aux taux de suicide de la population des autres régimes7. Ces résultats ont été transmis au Parlement dans le rapport annuel « charges et produits» de la MSA.

Santé publique France analyse certaines caractéristiques socioprofessionnelles associées à cette surmortalité par suicide. Les auteurs identifient plusieurs facteurs augmentant le risque de suicide chez les agriculteurs :

  • une exploitation à titre individuel ;

  • une activité d’exploitant à titre exclusif ;

  • une surface agricole utile comprise entre 20 et 49 hectares ;

  • la localisation de l’exploitation dans certaines régions (Bretagne, Bourgogne- Franche-Comté, Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes). Pour le travail d’aujourd’hui, je mesure l’isolement, le confinement, le huis-clos comme signifiants-maîtres de ces hommes et ces femmes. Explorer ce qui permet d’être seul et de choisir sa solitude : c’est la capacité pour un sujet à se séparer de ce qui le sollicite. Mais, dans le monde agricole, la solitude non éprouvée, sans les mots pour le dire, tourne à la pulsion de mort. La solitude « moderne », comme problème humain, date à peu près du XVIIème siècle. Elle est apparue dans la civilisation comme une trouvaille : l’homme pouvait être seul avec lui-même. Auparavant il n’était jamais seul car Dieu existait : quand l’homme était seul, c’est qu’il était sans Dieu, ce n’était pas la même solitude. La solitude, peut donner un accès à ce qui est impossible à échanger, voire à communiquer, ce sur quoi il n’existe pas encore de marché, ce qui ne parle pas, qu’on ne peut pas dire et qui advient quand on est confronté non seulement au manque de l’Autre, à son absence, mais au manque que nous sommes nous-mêmes par rapport à nous-mêmes. Accepter qu’un autre nous manque, c’est déjà la possibilité d’un appel qui puisse être entendu. Cet appel est souvent un cri de honte, de désespoir ou de sentiment de culpabilité. Mais au-delà de l’isolement géographique, spatial, que penser de l’isolement familial, de l’absence de l’autre, au passage d’un Autre à l’autre…Le recours à la main-d’œuvre est impossible financièrement et l’aide au répit ne dure qu’un temps.

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